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J’ai lu voici venir les rêveurs de Imbolo MBué

« Voici venir les rêveurs » nous présente la vie de Jende Jonga, jeune Camerounais venu aux Etats Unis avec un visa touriste de 3 mois, bien décidé à ne plus rentrer dans son pays sans avoir vécu d’abord le rêve américain. La dure réalité le rattrape rapidement. Il n’est pas facile de survivre dans la jungle New Yorkaise. Surtout pas quand son visa a expiré et que les chances d’avoir la Green Card tant espérée s’amenuisent de jour en jour.

Jende se bat tant bien que mal pour sortir sa tête de l’eau et occupe plusieurs emplois à la fois. Il réussit même à faire venir son épouse Neni et son fils Liomi grâce à quelques économies réalisées à force de durs labeurs. La providence leur sourit enfin quand il obtient un travail bien payé de chauffeur auprès de Clark Edwards, riche banquier chez Lehman Brothers. Il est moins inquiet pour l’avenir. Il sait qu’il pourra payer la formation de sa femme Neni qui veut devenir pharmacienne. Il pourra offrir un meilleur destin que le sien à ses enfants. Une pseudo amitié se développe même entre la famille Edwards et la famille Jonga au fil des trajets en voiture et des services rendus. Malheureusement, la crise des subprimes n’est pas loin. Son onde de choc ne touchera pas uniquement les riches de Walt Street mais aussi tout l’écosystème qui gravite autour d’eux.

J’ai acheté « Voici venir les rêveurs » il y a deux ans, curieuse de découvrir cet ouvrage qui avait créé un tel engouement à l’étranger et permis à son auteur d’avoir un chèque d’un million de dollars de son éditeur avant même la sortie. Il m’a coûté 17 500 F CFA et je dois avouer que je n’ai pas l’habitude d’acheter des livres aussi chers. Pourtant, je l’ai rangé quelque part et je ne l’ai plus touché jusqu’en Mai dernier.

Les désenchantements de l’exil

« Voici venir les rêveurs » est un beau livre qui se laisse déguster, drôle et attachant. L’écriture est simple, ce qui m’a étonnée pour un livre aussi plébiscité. Imbolo Mbué nous présente dans des mots à la portée de tous, les désenchantements de l’exil, l’univers difficile des immigrés qui vivotent avec l’épée de Damoclès de l’expulsion sur leur tête. Elle nous montre aussi certains qui, malgré l’obtention de tous les papiers nécessaires, continuent de vivre sur la corde raide. Ils n’ont pas les qualifications pour obtenir un travail bien rémunéré ou ne trouvent pas de travail tout simplement. Elle nous parle de comment la souffrance et le manque peuvent transformer les gens ou révéler des comportements cachés. Elle met une emphase sur les relations entre riches et pauvres, dans une Amérique où les deux groupes se côtoient mais jamais ne se mêlent véritablement. Elle nous parle des sacrifices qu’on est prêt à faire pour mettre sa famille à l’abri du besoin, surtout quand on a le dos au mur.

Savoir revenir quand on a échoué ou persévérer?

J’ai toujours eu du mal à comprendre pourquoi les gens qui vont dans un pays étranger pour faire fortune refusent de rentrer chez eux quand ils n’y arrivent pas. C’est peut-être parce que je suis plutôt satisfaite de ma vie chez moi. Je crois pouvoir avoir mieux et devenir plus. Cependant, ce mieux et ce plus, je suis convaincue de pouvoir les obtenir tant en Côte d’Ivoire qu’ailleurs. Peut-être que c’est ce qui pousse les migrants à partir et à rester là-bas malgré la souffrance. L’incapacité de se projeter dans l’avenir dans leur pays d’origine. En outre, il y a aussi la honte d’avoir échoué, de revenir bredouille. Alors, faux mariage, chantage, adoption, ils sont prêts à tout pour ne pas rentrer.

La persévérance est une qualité. Toutefois, ne faut-il pas avoir la lucidité d’abandonner ou reprogrammer ses rêves quand tout est contre nous ? Ou alors devons nous puiser dans ces obstacles la force de croire et de s’accrocher ? Un des passages assez évocateurs du livre est celui où Neni va voir un doyen de sa faculté afin d’avoir une bourse pour poursuivre ses études en pharmacie. Le doyen lui dit que les bourses sont réservées aux étudiants qui ont de bonnes notes. Elle correspond parfaitement au profil. Le doyen rajoute qu’il priorise les étudiants qui s’impliquent dans la vie de leur université. A quelle association ou groupe appartient Neni? Neni explique alors qu’elle a deux enfants en bas-âge qui lui prennent tout son temps en dehors des études, sans compter les petits boulots qu’elle doit faire pour joindre les deux bouts parce que son mari n’est pas bien payé. Elle a envie de s’impliquer plus mais ne peut pas. Le doyen lui donne alors un conseil qui la met en colère.

 « Il existe beaucoup d’autres carrières dans le domaine de la santé auxquelles je peux vous aider à accéder. Infirmière auxiliaire, techniciens de contrôle ultrasons, facturation médicale, codage médical, tout un tas de métiers qui seraient davantage à votre portée…

-Je ne demande pas un métier à ma portée.

-Mais ne serait-il pas dommage de passer des années à poursuivre un but que vous avez si peu de chances d’atteindre ? Je…Je voudrais juste en discuter avec vous afin de déterminer quelles sont vos chances de…sortir diplômée de notre faculté, d’entrer dans une école de pharmacie et de devenir une pharmacienne agréée qui devra par ailleurs gérer le stress dû à ses difficultés financières, élever deux enfants et vivre dans ce pays avec un visa temporaire. Ne pensez-vous pas qu’il serait dommage de vous engager dans un projet, de dépenser du temps et de l’argent, tout ça pour ensuite laisser tomber parce que vous vous rendez compte que vous avez vu trop grand ? Et avant de croire que je cherche à casser vos plans, sachez que je m’appuie sur des années d’expériences. Vous n’imaginez pas le nombre d’étudiants à qui cela est arrivé, et à quel point je regrette chaque fois qu’ils n’aient pas été mieux orienté. » P 331-332

Pourquoi ne pas revoir ses objectifs à la baisse pour un moment tout en gardant l’idée finale en tête ? Pourquoi ne pas obtenir d’abord le diplôme d’infirmière plus facile à avoir compte tenu de sa situation et de ses besoins et plus tard tenter de devenir pharmacienne enfin ?

La vie du migrant, en situation irrégulière ou pas aux Etats-Unis n’est pas facile et c’est le sentiment global qui se dégage du livre. Il arrive dans son eldorado présumé avec des poids sur les épaules et des boulets aux chevilles. Dans cette course qu’il s’apprête à entamer contre la pauvreté, les dés sont déjà pipés. Qu’il gagne beaucoup ou peu, son argent est englouti : par le niveau de vie trop élevé d’une ville où on peut acheter 3 bananes plantains à 2500 F CFA, par l’envie de faire croire que tout va bien, par les parents restés au pays qui font parvenir sans cesse des sollicitations pour l’école d’untel, pour la santé d’untel, pour le mariage d’un autre, pour les funérailles d’un autre encore.

Malgré tout, voyager est une chance. Surtout quand c’est fait dans la dignité et la légalité. Parfois, il est bon de partir pour mieux se découvrir et se retrouver. Je vous conseille de lire « voici venir les rêveurs », surtout si vous avez des rêves d’ailleurs ou des proches qui ont tenté l’aventure.

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