Walaandé

J’ai lu : Walaandé, l’art de partager un mari de Djaïli Amadou Amal

Walaandé. Partager un mari dans le foyer polygamique est un art. Cet art, Sakina ne savait pas qu’elle allait un jour devoir l’exercer.  A vingt ans, instruite, travaillant dans une banque et avec des idées bien arrêtées sur la vie de couple, elle a laissé cupidon lui décocher sa flèche en traitre. Elle tombe amoureuse d’un polygame qui a déjà 3 épouses à son actif. Elle sera donc la 4e.

La désillusion au rythme du walaandé

Au début, elle a l’impression d’avoir toujours le contrôle sur cette relation qui est aux antipodes de ses rêves de jeune fille. Alhadji Oumarou accepte de lui louer un appartement en dehors de la cour familiale. Elle a très peu de relations avec ses coépouses et ne s’en porte que mieux. Mais lorsque son mari, fait construire une nouvelle demeure plus grande et luxueuse, la messe est dite. Elle doit rejoindre les autres au risque de recevoir un autre pot de fleurs sur la tête ou d’être répudiée.

Le foyer polygamique débute alors vraiment pour Sakina au rythme du Walaandé, ces soirées pendant lesquelles chaque épouse passe la nuit avec le mari. Une vie faite d’attente et de frustrations.

« Quand son Walaandé s’achevait, elle n’avait plus le droit de le voir ou de lui adresser la parole pendant trois jours, c’est-à-dire avant son prochain Walaandé ». P32

Sakina découvre le foyer polygamique avec son lot de jalousies incontrôlées et de coups montés, de gifles et de cris, de rires et de complicité.

 

Les coépouses

 « En général dans le système polygamique, une épouse en veut à celle qui, nouvellement mariée la chasse de son piédestal de favorite…La première femme s’allie à la troisième qui l’a vengée en détrônant la deuxième qui est heureuse de voir la quatrième rendre la monnaie de sa pièce à la troisième. » P21

Mais les choses ne fonctionnent pas ainsi dans la famille de Alhaji Oumarou. Sakina s’entend bien avec Aïssatou la 1ère épouse et Nafissa la 3e. Quant à Djaïli la 2e épouse, elle est en guerre contre tout le monde, même si elle considère Sakina comme sa principale rivale.

Nafissa a été mariée à Alhadji à l’âge de quatorze ans. Son père l’Imam l’a offert comme cadeau de gratitude face à la générosité de Alhadji envers leur famille. A quatorze ans on est encore un enfant. Chaque Walaandé et Deefande (tour de cuisine) est une véritable épreuve pour elle. Les années ont passé mais elle demeure la petite fille fragile, maladroite et apeurée qu’on a obligé à épouser le père de sa meilleure amie.

Djaïli a été mariée également à quatorze ans à Alhadji. Son père était un riche commerçant et le meilleur ami du frère de Alhaji. Contrairement à Nafissa, elle était heureuse de son sort et épanouie.  Jusqu’à ce que son mari lui annonce l’arrivée d’une 3e épouse, puis d’une 4e un an plus tard. Elle est alors devenue amère et jalouse.

Aïssatou, la 1ère épouse, avait douze ans quand son père l’a donné en mariage à Alhaji Oumarou. Femme exemplaire, elle a très vite compris que la réussite de son époux dans les affaires impliquerait tôt ou tard la venue de nouvelles épouses. Elle en a vu passer beaucoup. Quand Alhaji répudiait ses épouses, il lui confiait leurs enfants. Aïssatou a fini par comprendre qu’il ne sert à rien d’être possessive envers un mari.

 « Mes coépouses ne sont pas mes ennemies. Elles ne sont que des victimes comme moi. L’ennemi c’est le mari ». P 60

 

La condition de l’épouse du Sahel

Dans Walaandé, l’art de partager un mari, c’est la condition difficile de l’épouse du Sahel qui est dépeinte avec un réalisme inquiétant.

« On a beau construire ensemble, tout est à lui. Nous ne sommes rien, nous ne valons rien, nous n’avons rien. » P166

« Pauvre petite fille du Sahel, privée d’éducation scolaire…obligée de baisser les yeux, obligée de se couvrir la tête…Pauvre petite femme, livrée un soir dans la chambre d’un inconnu qui a payé la dot et qui a tous les droits sur elle. Pauvre épouse du Sahel qu’on répudie à son gré quand on en a marre…Obligée de se baisser pour saluer un homme. Obligée de se baisser pour lui donner à boire, obligée d’enlever ses chaussures avant de passer à côté de lui, obligée de ne pas riposter quand il la corrige.  Pauvre femme africaine, affaiblie de génération en génération, elle a perdu sa fougue, sa dignité, mais elle n’en n’a pas pris conscience car encore et encore, elle acceptera la même chose pour ses filles. » P9/P10

Quelle tristesse !

L’époux du Sahel, bourreau ou victime?

Mais le roman polyphonique de Amadou Amal a ceci de beau qu’il accorde aussi la parole à Alhaji Oumarou. Le lecteur découvre que le bourreau, l’époux du Sahel,  est aussi victime d’un système traditionaliste qui l’oblige constamment à la réserve. Il doit cacher ses émotions, prouver sa poigne, démontrer sa virilité en posant des actes qui parfois le répugnent.

 « …chez nous, dans nos coutumes, les hommes ne s’abaissent pas devant leurs femmes. Ils ne demandent pas pardon. Elles devraient deviner que je regrette toutes ces erreurs. » P81

L’époux du Sahel est lui aussi emmêlé dans un carcan archaïque auquel il doit se conformer pour ne pas perdre la face ou jeter l’opprobre sur sa famille. S’il sauve les apparences, quand vient l’heure du face à face avec lui-même, sa solitude l’étreint.

« J’ai quatre femmes. Je les aime toutes les quatre mais je me sens seul. Je me sens plus seul que quand j’en avais une seule ». P 77

Dans cet océan de tristesse, une lueur d’espoir se dessine. Alhaji et sa génération apprendront à leurs dépens que le monde évolue. Il est de plus en plus difficile d’imposer ses choix avec violence, de maintenir l’autre en esclavage sans qu’il ne se révolte. Chaque être humain à un seuil de tolérance.

En lisant cet ouvrage on ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit là de la vie réelle de millions de femmes et d’hommes qui souffrent en silence, là-bas dans le Sahel, mais ici aussi derrière des portes closes et des sourires surfaits. On ne peut que remercier Dieu pour nos parcelles de libertés individuelles et collectives, aussi infimes soient-elles. On ne peut que prendre la résolution d’en jouir avec plus de force, pour nous, et pour tous ceux et celles qui en sont privés.

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