Driss Chraïbi

J’ai lu: La civilisation…ma Mère de Driss Chraïbi

Elle est travailleuse, courageuse, dévouée pour sa famille, entièrement dépendante financièrement de son mari, analphabète et a deux fils. Deux fils qui veulent en faire une femme plus forte, moins dépendante, plus instruite. Ils l’aiment et souhaitent qu’elle découvre le monde par elle-même et non par leurs yeux ou ceux de leur père.  Ils se mettent donc en peine de lui faire vivre des expériences nouvelles, souvent à l’insu de leur père, homme d’affaires régulièrement absent. Cinéma, balade au parc, téléphone, électricité, radio, cuisinière…Ces choses tellement évidentes pour nous sont tels le premier pas de l’homme sur la lune pour cette Mère. Bouleversants, ils lui ouvrent de nouvelles perspectives. Mais comme pouvait le dire Anatole France : «  tous les changements, même les plus souhaités ont leur mélancolie, car ce que nous quittons, c’est une partie de nous-mêmes ; il faut mourir à une vie pour entrer dans une autre. »

Le livre comporte deux parties. Dans chacune d’elle, un fils raconte la mère. Le plus jeune d’abord. Tendre, patient, plus conformiste. Puis le plus grand, le rebelle impétueux avec ses manières peu orthodoxes qui est finalement tout aussi attachant que le premier. De la paix à la guerre, de la guerre à l’indépendance, on vit la métamorphose de cette Mère qui décide non seulement de prendre son destin en main, de briser tous les jougs qui la retiennent, mais aussi d’aider les autres à en faire de même.

J’ai été interpellée par la relation entre la Mère et son époux. Il n’est pas particulièrement mauvais. Il ne l’insulte pas, ne la bat pas. Elle ne manque de rien. Elle n’a même pas le temps de manquer de quelque chose. Il prévient tous ses désirs.  Tout lui est livré à domicile. Mariée à 13 ans à cet homme, elle n’est plus jamais vraiment sortie de la maison. Le monde a évolué. Elle a élevé deux enfants, mais elle n’a pas changé. Elle a vieilli mais n’a pas grandi. Son horizon est demeuré fermé. Elle s’en contentait d’ailleurs jusqu’à ce que ses fils lui ouvrent les yeux et qu’elle réalise combien elle était malheureuse car aimer ne se résume pas à combler les besoins matériels de l’autre. Il faut nourrir également son esprit et élever son âme. L’évolution du personnage du Père donne également matière à réfléchir.

Un voyage, un livre minimum est mon nouveau crédo. A la fin de mon séjour au Maroc, j’ai acheté « La civilisation, Ma mère… » dans un magasin de l’aéroport. J’y avais déjà acheté en Avril, un autre livre de Driss Chraïbi« l’homme qui venait du passé ».

En lisant le livre je me suis rendue compte que je connaissais déjà certains extraits. Ils figuraient dans un de mes livres scolaires. Je ne me rappelle plus de quelle classe il s’agissait. J’avais trouvé hilarant cette dame qui se retrouvait au cinéma et passait son temps à donner des conseils aux personnages comme si ils pouvaient l’entendre. Je suis ravie d’avoir lu aujourd’hui l’histoire de bout en bout. Un appel à la réflexion sur l’ignorance, la connaissance et la liberté.

« -La liberté est poignante, dit-elle à mi-voix. Elle fait parfois souffrir.

-Comment ça?

-Elle ne résoud pas le problème de la solitude. Tu vois je vais te dire: je me demande si vous avez bien fait Nagib et toi d’ouvrir la porte de ma prison. » P 98

Un bel hommage livresque à toutes les mères, tellement formidables, à la fois fortes et fragiles.

 

 

 

 

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